Bénarès est pour les bouddhistes une ville sainte. Il est bon pour un indien de descendre les ghats pour se baigner habillé dans les eaux sombres et purificatrice de la Déesse Mère Ganga, le Gange, le fleuve millénaire, joyau de l'Inde. Des milliers de croyants viennent en ce lieu pour y mourir et pour se faire incinérer, pensant ainsi se libérer de Samsara, le cycle de la réincarnation éternelle.
Dans les faubourgs de la ville il existe des centaines de temples, que les touristes visitent. Cependant il en est un qui n'est indiqué nulle part dans les guides touristiques et que même les habitants ne connaissent pas, pardon, que même les habitants disent ne pas connaître.
Attenant à un Ashram, on pourrait facilement le confondre avec une ancienne habitation abandonnée tant il est discret et abîmé, mais tout le monde dans la ville connaît ce temple, le temple de l'homme aux cheveux d'or, l'homme à la bonté qui n'a d'égale que sa beauté légendaire. On en parle telle une légende ici, toujours les yeux fermés, il a les mains guérisseuses et l'aura du Bouddha l'entoure et certains le vénèrent tels un dieu.
Cependant il y a deux ans, le saint homme a disparu sans prévenir, laissant derrière lui une jeune fille, sa disciple à qui il a appris les secrets de sa médecine et qui officie maintenant à sa place quand des parents apeurés ou des vieillards inquiets l'appellent. Elle guérit les uns, apaisent les autres en les accompagnant dans l'autre monde et est devenue rapidement aussi aimée que son maître.
Ce jour là, la jeune fille était dans le temple en train de méditer comme le lui avait appris son maître. Elle flottait légèrement à 50 centimètres du sol, une douce aura la nimbant de bleu. Le bleu qui était aussi celui de ses cheveux, un bleu d'une clarté extrême rappelant la pureté du ciel un matin d'hiver. Plongée dans sa méditation elle n'aperçut pas trois flocons blancs qui apparurent comme par enchantement au-dessus d'elle et qui tombèrent en flottant pour doucement lui frôler la joue et retomber dans sa main posée sur son genou. Dépliant ses jambes elle se leva et regarda alors ce qui avait dérangé son exercice et découvrit trois pétales blancs tachés de sang. Elle sut de suite ce que cela signifiait, elle reconnut les pétales de saule qui fleurissaient à cette époque de l'année et ressentait toute la douceur et la tristesse de son maître qui lui avait adressé un dernier adieu.
Elle se rappela alors toutes ces années passées avec lui, après qu'il l'ait pris sous sa protection lorsqu'elle devint orpheline.
Quelques années auparavant
Une barque glisse doucement sur le Gange, une petite fille accrochée au bord regarde défiler les berges de ses yeux ébahis. C'est la première fois qu'Eshana quitte son village près de Calcutta. Elle et ses parents vont à Bénarès en pèlerinage afin d'être purifiés dans les eaux du fleuve sacré. Ses parents sont assis derrière elle, se tenant la main et souriant à chaque fois que leur enfant se retourne vers eux et désigne un temple, une maison ou un groupe de personnes se baignant. Tout est parfait en ce jour, la douce chaleur moite apportée par les premiers jours de la mousson, le ciel si bleu et la douce voix du batelier derrière eux qui chante quelques poèmes à la gloire du Gange :
O Gange
J'ai reçu sur tes berges
L'essence de la suprême béatitude
Les larmes me viennent aux yeux
A la seule pensée de quitter ta rive
Pardonne-moi si je dois partir
O Mère
J'ai touché ton eau
Et tes vagues m'ont purifié
O Gange
Je te prie les mains jointes
Gange vertueuse
J'espère revenir un jour sur tes berges
J'ai reçu sur tes rives
L'essence de la suprême béatitude
Il est futile de se livrer aux dévotions
Expiations, méditations
Alors qu'un seul bain dans ton eau
Purifie la vie entière
Gange
Ne m'oublie pas après ma mort.
C'est alors qu'un phénomène rarissime se produisit : à l'approche de Bénarès, une vague remonta le cours du fleuve. Ce phénomène connu sous divers noms comme Mascaret en France n'était jamais arrivé sur le Gange au lit trop profond. Cependant ce jour là une vague se forma à l'embouchure du fleuve et remonta le cours jusqu'à Bénarès, renversant la barque et ses occupants. La panique prit les occupants qui ne sachant pas nager se débattirent autant qu'ils purent pour attraper la barque emportée par le courant. Seule Eshana n'avait pas lâché l'embarcation, criant et appelant ses parents elle les vit s'éloigner alors qu'elle s'accrochait désespérément au bois. Après plusieurs heures d'attente, n'essayant pas de monter sur la barque renversée de peur de la lâcher, épuisée d'avoir crié et pleuré, Eshana s'évanouit.
En se réveillant elle se crut au paradis tellement la vision qu'elle eut était belle : au-dessus d'elle se trouvait un arbre dont les feuilles vertes bruissaient lentement, la protégeant du soleil accablant de l'après-midi. A ses narines montait la douce odeur boisée de la mousse sur laquelle elle était couchée.
- Tu es enfin réveillée ?
En entendant cette voix elle sursauta, son timbre si doux lui rappelait la voix de son père lorsqu'il lui racontait une histoire avant de l'embrasser pour lui souhaiter bonne nuit.
Se relevant elle vit un homme d'une grande beauté, il avait de longs cheveux couleur de blé qui lui descendait jusqu'aux reins et qui, sur le devant, lui recouvrait légèrement le point qui était dessiné sur son front. Son visage d'un ovale parfait était d'une douceur et d'une beauté qu'Eshana n'avait jamais rencontrée et ses yeux, entièrement fermés étaient bordés par de longs cils.
- Où suis-je et qui êtes-vous ? Etes vous Bouddha ?
A cette dernière question, un sourire se dessina sur les lèvres de l'homme.
- Tu es ici en sécurité, je m'appelle Shaka et non je ne suis pas Bouddha, du moins pas tout à fait… Comment t'appelles-tu ? Et où sont tes parents ?
- Je…je…je sais plus comment je m'appelle ! ! ! Je me rappelle que j'étais sur un bateau avec mes parents et qu'il s'est renversé ! ! Et après je sais plus ! ! ! ! !
La petite fille se prit la tête entre les mains et pleura à chaudes larmes. Le sourire de Shaka s'effaça et laissa place à une profonde tristesse, il s'approcha de la fillette et la serra dans ses bras. Elle se blotti contre lui, sentant la chaleur de son corps contre elle, cette protection, la même que celle de sa mère quand elle avait un chagrin. Elle savait qu'elle ne risquait plus rien et ses pleurs se transformèrent en hoquets sanglotants puis elle s'arrêta de pleurer mais resta contre son sauveur qui lui caressait doucement la tête.
- Je vais t'appeler Eshana alors et tu seras mon disciple.
Telle fût la rencontre d'Eshana avec Shaka il y a 6 ans en ce jour où sa vie fût bouleversée. Pendant les 6 années qui suivirent elle suivit son enseignement, physique et spirituel.
Elle progressa rapidement au point que Shaka lui dit un jour qu'elle serait le nouveau chevalier d'or de la Vierge après lui. Le jour même Shaka partit pour le Sanctuaire en Grèce, appelé par le Grand Pope : c'était il y a 2 ans. Depuis elle s'entraîne seule, selon les exercices montrés par son maître, prodiguant ses soins aux habitants de la ville qui le demandent. Ils sont souvent rentrés en contact par l'intermédiaire de leur cosmos pour échanger des nouvelles et elle devait même le rejoindre au sanctuaire après la découverte de la véritable réincarnation d'Athéna mais il y eu un contretemps à cause du Vieux Maître qui laissa le Sanctuaire en état d'alerte.
Apparemment, il a eu raison…Pour qu'un ennemi arrive à la sixième maison du Zodiaque et tue Shaka, il doit être assurément fort !
Pendant qu'elle réfléchissait, elle s'approcha d'une table dans un coin du temple sur laquelle reposait une lyre. Elle la prit et commença à jouer un air des plus mélancolique, elle ne pleurait pas mais fermait les yeux. Elle contrôlait ses émotions comme Shaka le lui avait appris, les émotions étaient bonnes pour un combattant car quand on croit à sa cause elles permettent d'abattre tout les obstacles, même quand tout semble perdu, mais on devait les contrôler pour ne pas se laisser submerger par elle et perdre ainsi tout contrôle sur soi.
Alors elle jouait sans pleurer, se remémorant tout les instants passés avec lui : les entraînements, les enseignements sur les constellations, les religions, l'anatomie, la médecine, les fou-rires, les pleurs quand elle se rappelait la noyade de ses parents, le sourire des gens qu'il soignait…tout ça revenait dans son esprit.
Emportée dans sa tristesse, elle perçut à peine la baisse de la clarté, inhabituelle à cette heure de la journée et c'est un enfant qui vint la chercher et lui montrât l'éclipse qui se dessinait dans le ciel.
- Il se passe quelque chose de vraiment très grave au Sanctuaire. Courage, chevaliers de l'espoir, vous avez nos vies entre vos mains mais j'ai entièrement confiance en vous.
Quelques jours plus tard, on parlait encore de la fameuse éclipse imprévue et Eshana marchant dans la rue revenant vers le temple après avoir apaisé un mourant senti tout à coup une sorte d'appel. Quelqu'un d'une pureté sans égale lui demandait de la rejoindre. Elle sût très vite qu'Athéna la demandait et sans attendre elle fît route vers le sanctuaire.
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